Réflexion

Scandinavie : c’est le paradoxale système

il y a 2 ans | Denis Asselberghs

Les Nordiques ont une belle image : moderne, épurée, respectueuse. Mais à y regarder de plus près, tout n’est pas si clair et si solide. En tout cas, pas autant qu’il y paraît dans les rapports de l’OCDE. Autoscopie de trois pays dont le profil énergétique fait école, tout comme la mobilité. Sauf que…

Parce que la part des énergies renouvelables y est nettement plus élevée que la moyenne européenne, Suède, Danemark et Norvège sont régulièrement cités en exemple. Première à avoir instauré la taxe carbone à l’aube des années 90 (alors qu’aujourd’hui, elle est toujours inexistante dans la plupart des états membres de l’Union !), la Scandinavie donne des leçons de civisme environnemental. De solidarité aussi. Ainsi, son interconnexion des réseaux électriques : quand le vent se met à fléchir au Danemark, Copenhague en appelle à l’hydroélectricité norvégienne ou à l’atome suédois. Les échanges entre les trois s’expriment à bien d’autres niveaux. Puis, par-delà, il y a cette posture vertueuse que nous leur envions tant : la nature préservée, les rues d’Oslo si vertes et si silencieuses où les voitures à accus ont pris le pouvoir et le comportement de toute une société qui s’affiche comme écologiquement avancée. Mais il y a l’envers du décor. Prenez la Norvège qui passe pour un modèle dans la lutte contre les changements climatiques. Or, n’est-elle pas l’un des plus gros exportateurs de CO2 au monde ? Ça, c’est la bonne question qui dérange, celle qui participe à la mauvaise conscience d’une partie grandissante de la population vivant dans cette « pétromonarchie »…

 

1.125 milliards d’euros d’actifs

La Norvège déborde de fjords, rivières et torrents. L’hydroélectricité et ses 1.000 centrales suffisent à l’approvisionnement énergétique d’un territoire de 385.199 km2 comptant à peine 5,5 millions d’habitants. En cela, le royaume d’Harald V ressemble beaucoup au Québec, autre réservoir d’eau gigantesque qui assure une quasi autosuffisance. Mais comme un bonheur n’arrive jamais seul, la Norvège est aussi incroyablement riche d’un or noir qu’elle extrait depuis 1966 dans toutes les mers environnantes. Les forages commencèrent au large de Stavanger et, depuis, ils se sont étendus jusqu’aux eaux arctiques en dépit des protestations d’ONG qui craignent pour un écosystème jusqu’alors épargné. C’est à peine si les autorités y prêtent attention, d’autant que leur manne pétrolière se double de gisements gaziers relativement importants. Comme le pays n’a pratiquement pas besoin de ces combustibles fossiles, et à plus forte raison depuis que l’électromobilité s’est imposée (cf. encadré), que fait-il du crude puisé dans les abysses ? Il le vend à l’étranger. La compagnie nationale Equinor, devenue l’un des plus puissants distributeurs de brut au monde, permet à la Norvège d’engranger des revenus considérables : une cagnotte que fait rêver tous les dirigeants de la planète. Elle porte un nom : GPFG, le plus nanti de tous les fonds souverains (avant le Canada et les USA) avec plus de 1.125 milliards d’euros d’actifs ! Pour autant, la Norvège n’appartient pas à l’OPEP. Elle n’en est que plus libre pour poser des choix stratégiques assez contestables. Alors qu’elle gère déjà 83 sites offshore, elle en cherche encore, à contrepied d’instances comme l’AIE qui appellent à arrêter toute exploration pour limiter le réchauffement climatique.

Un mal nécessaire         

Vous avouerez qu’il y a comme une certaine incohérence venant d’un gouvernement qui vise la neutralité carbone en 2050 et une réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Propre chez lui, pollueur hors frontières… ça fait tache. Bien sûr, le parlement contraint le Premier Ministre Erna Solberg à des obligations éthiques, ce qui n’empêche pas Equinor de prendre des participations dans des entreprises d’une probité discutable. Madame Solberg répond que ces placements sont justifiés, car rentables. L’argent n’a pas d’odeur, c’est bien connu. Et si c’est un mal, c’est un mal nécessaire. La Secrétaire d’Etat au Trésor ajoute « les recettes du pétrole et du gaz sont les économies du peuple norvégien, nous en prenons soin pour les générations futures. » L’opposition a un avis divergeant. Les Groone (écolos) jugent que le fonds souverain doit être exclusivement dédié à des projets d’énergie renouvelable. D’autres voix invitent la Norvège à aider les pays souffrant déjà du réchauffement climatique. 

 

Indulgence, svp

On peut évidemment brosser un tableau très sombre de l’attitude norvégienne, mais il convient de reconnaître qu’il y a des avancées positives. D’abord, Equinor fait valoir que son pétrole est l’un des plus verts au stade de la production : il n’émet que 9 kg de CO2 par baril alors que la moyenne mondiale est à 18 kg. Cette diminution a été obtenue notamment par l’électrification des plateformes offshore. La multinationale insiste également sur ses travaux de captation et de stockage du carbone. Quant au gouvernement, avec son matelas financier, il veut préparer l’après-pétrole : une échéance pas si lointaine, 10 ans au mieux. Des chantiers industriels sont à l’étude, comme la reconversion de la construction navale vers une nouvelle génération de bateaux électriques. Et bien entendu, les rentrées du GPFG doivent servir à renforcer la transition énergétique.  

 

SOS Groenland

Le Danemark voisin a décrété la cessation imminente de sa production pétrolière… ce qui fait sourire Erna Solberg. « Facile à dire quand les gisements sont de toute façon épuisés » répond le Premier Ministre norvégien. Politiquement, ça n’exige aucun courage, puisque de toute manière la ressource est tarie. Et ce n’est pas faux. Mais il ne faudrait quand même pas oublier que les Danois ne se sont jamais reposés sur les forages en mer pour assurer leurs approvisionnements. Dès 1973, ils ont misé sur les énergies renouvelables et confirmé ce choix 3 ans plus tard en refusant le nucléaire. Depuis, l’éolien n’a cessé de se développer. L’éolien terrestre, oui, et surtout l’éolien flottant. C’est à Vindeby, près de l’île de Lolland, qu’a été inauguré en 1999 le premier parc marin au monde. Et à Anholt que se trouve         aujourd’hui le plus grand de ces parcs avec 111 éoliennes offrant une puissance de 400 MW. Très engagé aussi dans le biogaz, la biomasse et la marée motrice, le Danemark se déclare prêt à s’appuyer sur ses investissements dans le renouvelable pour couvrir en 2030 au moins la moitié de sa consommation énergétique. Les changements climatiques l’inquiètent plus que jamais en constatant la fonte des glaces cet été au Groenland : pour la seule journée du 27 juillet, la calotte a perdu 8,5 milliards de tonnes de masse en surface. De quoi recouvrir de 5 cm d’eau la totalité de la Floride !

 

L’index « bon élève »

Reste la Suède. Très volontarisme, elle parvient à fédérer sa population autour de la transition énergétique. La dernière augmentation de la taxe carbone a été votée sans réelle protestation. Juste quelques critiques de la droite (dans son rôle pour freiner les initiatives du gouvernement de centre gauche). En 2019, le pays a été classé par l’ONU premier du « Climate Change Performance Index » sur base d’un calcul additionnant consommation énergétique, budget alloué à la transition et émissions de CO2. Mieux : comme elle planche depuis 1998 sur d’innombrables programmes de recherche (biomasse, biogaz, pompes à chaleur, éolien, biocarburants), la Suède a pris l’engagement de sortir des énergies fossiles d’ici une dizaine d’années. 2035 au plus tard. Il faudra aussi qu’elle arrête d’exploiter la tourbe dont la combustion émet énormément de vapeurs carbonées. Quant au nucléaire… Mais à part ça, le tableau est franchement flatteur !

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