Réflexion

L’électromobilité, vertueuse ou prédatrice… Qui dit vrai, qui dit faux ?

il y a 2 ans

Dans un monde où il est difficile de discerner la vérité du mensonge (les lobbyistes s’y emploient à merveille), on est bien en peine d’affirmer que la voiture électrique et ses sœurs hybrides sont bénéfiques ou préjudiciables à l’environnement. Quel que soit le camp choisi, prétendre qu’on a 100% raison paraît aussi simpliste qu’illusoire. D’ailleurs, à l’instar d’une certaine crise sanitaire qui nous empoisonne l’existence, les « experts » sont rarement d’accord entre eux, preuve qu’être assis sur sa position et ne rien concéder aux autres thèses n’est ni très crédible, ni très intelligent…

 

Les chiffres sont là, gigantesques et alarmants : selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), les véhicules automobiles à moteur thermique, voitures et camions en tête, en brûlant du pétrole et ses dérivés, ont émis 6 milliards de tonnes équivalent CO2 rien qu’en 2018… La belle affaire ! A ce train, le réchauffement climatique s’annonce torride, d’autant que la croissance du trafic devrait se poursuivre encore durant au moins 10 années via les poids lourds, sans cesse plus nombreux. Alors ? On va droit dans le mur… sauf si l’électromobilité nous sort de ce mauvais pas. Mais à peine voit-on poindre cette lueur d’espoir que le peloton des rabat-joie nous affirme qu’il ne faut rien en attendre de bon, qu’avec elle ce qui était mauvais hier sera encore pire demain, qu’on avance à reculons… et autres joyeusetés du genre.

Mutation du marché

Quel est le souci ? Avec la mise à l’index du diesel et son interdiction à brève échéance dans la majorité des centres-villes, les motorisations faisant appel aux batteries vont se surmultiplier. D’où mutation du parc automobile, mais sans aucune garantie de salubrité… C’est ce que prétendent les électro-sceptiques, soulignant que si, à l’usage, les modèles propulsés totalement ou partiellement à l’électricité émettent moins de CO2, voire plus du tout, il n’en va pas de même - et loin s’en faut - de leur production dont l’empreinte carbone est très élevée. Parce que l’extraction des métaux intervenant dans la composition des batteries se fait le plus souvent au détriment de l’environnement. Et parce que la rareté desdits métaux pourrait créer à la longue des tensions géopolitiques assorties de conflits. De prime abord, ce tableau, pour sombre qu’il est, semble réaliste, puisque brossé par des médias jugés crédibles… A moins qu’ils soient tendancieux ? Ou mal informés ? On peut franchement se poser la question à la lecture d’autres rapports – a priori, très sérieux eux aussi – qui offrent une vision assez différente et nettement moins catastrophiste.

Premier accusé, le lithium

Au cœur de la transition énergétique, il y a le lithium, régulièrement sous le feu des critiques. Utilisé dans l’électrolyte des batteries, ce métal n’est pas lourd (il est même léger, à peine 2% du poids des accus embarqués dans une voiture électrique). Et il n’est pas rare non plus, avec des réserves mondiales estimées aujourd’hui à plusieurs dizaines de millions de tonnes. Il faut dire que le lithium n’est pas exclusivement dédié aux batteries automobiles. Il est nécessaire à la fabrication du verre, de l’acier, de la céramique, des graisses et des lubrifiants. Quant à son extraction, extrêmement polluante et grande consommatrice d’eau… l’est-elle vraiment ? Puis, de quels gisements parle-t-on ? Ils se répartissent en trois catégories : 1° les saumures (ou salars), essentiellement en Amérique latine ; 2° les carrières de roches pegmatites, un peu partout dans le monde dont plus de la moitié en Australie ; 3° certaines nappes phréatiques, en phase expérimentale. Seule l’extraction dans les salars s’accompagne de rejets toxiques et exige énormément d’eau. C’est exact, mais l’industrie du pétrole en consomme aussi beaucoup (18 litres d’eau pour obtenir 1 litre de carburant), ce qui n’est pas une excuse valable, je vous le concède. Mais surtout… ce n’est pas ce lithium-là qu’on retrouve dans les batteries. Il faut qu’il soit le plus pur possible et cette pureté ne s’obtient de manière rentable qu’avec les roches pegmatites. Vous avouerez que tout ceci est plutôt rassurant et bien éloigné des rumeurs anxiogènes qu’on nous sert à la louche… Un autre élément fort plaide en faveur du lithium contenu dans les accus de nos voitures électriques : sa longévité. Pour une configuration poids/performances de type Tesla, les laboratoires s’accordent sur une « première vie » d’environ 500.000 km avant d’être régénéré et installé dans une nouvelle batterie prête elle aussi à couvrir 500.000 km, soit un million à l’addition des deux, ce qui est assez remarquable.

Terres rares et cobalt pour un second assaut

Les détracteurs ne s’avouent pas vaincus. Ils reviennent à la charge, rappelant qu’il y a « quand même encore des terres rares dans les batteries actuelles ». Objection, Votre Honneur : il y en AVAIT dans les accus NiMH (Nickel Metal Hybride) équipant notamment les Toyota Prius du tout début. Dans une lithium-ion, ces composants chimiques ont disparu. Plus la moindre trace de lanthane, par exemple. Et tant mieux, car son extraction, principalement en Chine, était effectivement une importante source de pollution. Et le cobalt ? Lui reste incontestablement dans l’œil du cyclone. Même si, dans un avenir plus ou moins proche, on pourra s’en passer, le cobalt demeure indispensable au fonctionnement d’une batterie lithium-ion. Son problème ? Une provenance douteuse et des conditions d’extraction condamnables. Explication : plus de 50% des gisements sont concentrés en République du Congo dont une petite partie (10%) dans des mines artisanales exploitant des enfants et violant les droits des travailleurs. De quoi embarrasser les constructeurs automobiles qui, pour la plupart, ont trouvé la parade en prenant des mesures blockchain pour contrôler les chaînes d’approvisionnement. Mais avec, inévitablement, des fraudes que les ONG ne se privent pas de dénoncer.

Recyclage, des progrès

Autre pierre d’achoppement à laquelle est confrontée l’industrie : recycler les batteries. S’il n’y a pas encore de procédé totalement satisfaisant, la R&D poursuit ses avancées. Bien obligée en fait, puisqu’une directive européenne force les fabricants et constructeurs à prendre en charge les accumulateurs en fin de vie et à les recycler au moins à 50%. Pour y répondre, il faut de véritables outils – des usines, rien de moins – capables de réutiliser près de 90% des composants pour en faire de nouvelles batteries. L’une de ces unités de récupération et recyclage a été montée chez nous, à Hoboken, par Umicore, une entreprise 100% belge. Dans le même créneau, Solvay et Veolia se sont associés il y a quelques mois (septembre 2020) pour créer un écosystème circulaire afin d’optimiser la gestion et la réutilisation des matières premières contenues dans les batteries lithium-ion. C’est la preuve que ça bouge et qu’il y a de vraies perspectives dans cette filière. Sinon, jamais deux géants comme Solvay et Veolia n’auraient entamé leur collaboration.

Véhicules inadaptés et bornes inexistantes      

Le troisième front de la critique pointe du doigt le bien-fondé de l’électromobilité. En clair, sa capacité à répondre aux besoins réels des usagers. Avec au centre de la pièce, l’autonomie des batteries. S’il faut hiérarchiser les questions, la première à se poser tient à la mission des voitures électriques vendues en 2021 (car celles de 2023 ou 2025 n’auront sans doute plus tout à fait le même profil). Leur priorité, c’est naturellement la réduction drastique de CO2. A qui s’adressent ces véhicules ? D’abord aux citadins et aux navetteurs. Faut-il déplorer leur prix ? Oui, mais c’est ainsi, ces autos très technologiques coûtent cher. Toutefois, le marché va s’équilibrer progressivement, le processus est en cours et le jeu de la concurrence fera le reste. Merci Dacia ! Au-delà de ces considérations, on peut noircir le trait et reprocher à l’électromobilité tout et n’importe quoi selon qu’on la considère ou non à sa juste valeur. Mais il y a quand même quelques contre-vérités à réfuter. La plus basique : les voitures à batterie, ça n’avance pas. Faux. Si, pour ménager les accus, il faut moduler la conduite, les BEV n’en ont pas moins un couple phénoménal et des reprises tout aussi linéaires qu’impressionnantes. Idem pour les hybrides qui, quand on y va « pied dedans », s’appuient sur leurs deux moteurs pour offrir un maximum de puissance… Mais, au fond, cette histoire de vitesse et d’accélération, ça n’a plus trop d’importance et ça semble même déplacé dans une circulation où radars et embouteillages rythment la cadence et font la loi. Autre allégation : vu les kilos qu’elles transportent, les hybrides sont gourmandes en carburant. Non. L’alternance automatique de leurs motorisations électrique et thermique permet d’obtenir le meilleur rendement énergétique possible. Une petite dernière pour la route : les hybrides ne conviennent pas aux longs trajets. Ah bon ? Avec une HEV et à plus forte raison une PHEV, vous pouvez rouler aussi longtemps que vous le souhaitez indépendamment de l’autonomie électrique. Et il est possible, manuellement, de conserver de la charge pour plus tard, si l’on doit, par exemple, circuler en ville dans une LEZ (Low Emission Zone).

Une rampe de lancement

Ne nous faites pas dire qu’avec les voitures à accus, tout est rose. Elles ont des défauts difficiles à corriger. Le temps de charge reste un handicap XXL, tout comme l’insuffisance de bornes publiques. Et il y a plus grave : la capacité de nos centrales électriques permettra-t-elle de répondre à la demande lorsque l’électromobilité deviendra la norme ? Pas sûr. Quant au développement de l’électricité verte, il traîne la patte… A côté de ça, vous remarquerez à lecture de nos Electric-News (p.8) que tous les acteurs tâchent d’y mettre du leur pour améliorer les choses. Oui, ça bouge. Puis il y a l’hydrogène dont on commence – enfin – à évaluer le potentiel. Si nos politiques décident de le plébisciter franchement, avec force moyens et la volonté affichée de booster les réseaux de distribution, alors là, n’en déplaise aux ronchonneurs impénitents, la mobilité « propre » se sera vraiment mise en adéquation avec les nécessités environnementales. Et elle participera pleinement à l’indispensable assainissement d’une planète aux abois, sans nous priver de cette liberté de déplacement à laquelle nous tenons tant. Dira-t-on rétroactivement que les véhicules électriques à batterie n’auront été qu’une étape ? Peut-être oui, peut-être non, puisque lithium-ion et hydrogène peuvent chacun faire le job en se complétant. Et si, effectivement, à terme, les BEV, HEV et PHEV venaient à s’effacer au profit exclusif de l’hydrogène, on retiendra d’elles qu’elles furent une rampe de lancement vers la décarbonation du trafic automobile. Donc, surtout, ne les boudons pas ! n

Mots-clés: Réflexion Actualités
L’électromobilité, vertueuse ou prédatrice… Qui dit vrai, qui dit faux ? | MobilityLife

Notre sélection d'annonces