Strategie

La gratuité des transports publics au Luxembourg, levier de la mobilité du XXIe siècle ?

il y a 2 ans

Depuis un peu plus d’un an, le Grand-Duché est devenu le premier pays au monde à appliquer la gratuité des transports publics sur tout son territoire. Un formidable laboratoire de la nouvelle mobilité.

 

La gratuité – toute théorique – des transports publics est le vieux fantasme de ceux qui veulent promouvoir des alternatives à l’automobile individuelle. De nombreuses villes européennes ont tenté l’expérience avec plus ou moins de succès, mais ce sont surtout des entités urbaines de moyenne importance, impliquant, comme à Dunkerque depuis la fin 2018, uniquement un réseau de bus. Soit celui qui est le moins cher, loin devant le tram, le métro et le train.

Pour booster l’attractivité

Chez notre voisin luxembourgeois, depuis le 29 février 2020, on peut -monter sans payer dans tous les trains, trams et bus. Un accès libre pour toute la population et dans tout le pays, pas immense, il est vrai… Envisagée dans un esprit typiquement grand-ducal (simple et rationnel – ndlr), cette gratuité facilite l’usage des transports publics dans la mesure où l’utilisateur ne doit plus se soucier d’aucune tarification, d’aucun paiement, ce qui rend l’attractivité de ces modes de transport encore plus forte.

Mesure sociale

Le gouvernement insiste sur l’importance sociale de la mesure. « Ce n’est pas gratuit, c’est payé à travers les impôts en général », analyse François Bausch, ministre vert de la Défense, de la Mobilité et des Travaux publics. « Mais si c’est fiscalisé, c’est équitable, dans la mesure où ceux qui paient le plus d’impôts paient aussi plus pour les transports publics, alors que chez nous les revenus les plus bas ne sont pas soumis à l’impôt. C’est aussi une mesure sociale du point de vue de l’accès à la mobilité, un bien de première nécessité. Elle agit ainsi sur le marché du travail et, de ce fait, opère comme un soutien à l’économie. » Pour M. Bausch, elle est surtout une vitrine, « un levier pour sensibiliser au débat sur la nouvelle mobilité et l’expliquer ». Nouvelle mobilité qui implique la nécessité d’investir : « Tout est interdépendant, vous n’allez pas convaincre si la qualité est mauvaise ! » Dès lors, le débat est lancé jusqu’à l’international, le ministre étant convié partout dans le monde à expliquer cette vision globale des transports publics et, par extension, de la mobilité sous toutes ses formes.

Faible manque à gagner

Bien sûr, pour les sociétés de transports publics, comme les CFL (gestionnaire des autobus de Luxembourg-Ville et du nouveau tramway), il y a un manque à gagner. Mais il est relativement limité, car les prix pratiqués auparavant étaient très modérés. Concrètement, pour l’Etat, ce manque à gagner s’élève à 42 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 16 millions pour la Ville de Luxembourg, sur un coût général d’exploitation annuel de tous les transports publics évalué à 650 millions. Entre-temps, depuis 2015, le pays s’est lancé dans un gigantesque programme d’investissements. Rien que pour les chemins de fer nationaux, la contribution correspond à 450€ par habitant et par an. Le Grand-Duché dépasse ainsi le champion suisse, laissé sur place à 425€. Quant à la Belgique, elle fait figure de nain, les investissements annuels de la SNCB étant sous les 100€ par habitant… Evidemment, nos dirigeants auront beau jeu de rappeler que le Luxembourg est un pays riche… mais l’argument est un peu court. Pour François Bausch, « C’est aussi une question de priorité politique. Avant 2013, deux tiers des investissements publics luxembourgeois bénéficiaient au réseau routier, contre un tiers pour le rail. Aujourd’hui, c’est l’inverse. »

Pas contre la voiture

Le ministre vert de la Mobilité insiste : « Les investissements ne sont pas réalisés contre la voiture, mais il faut qu’elle fasse partie d’une mobilité multimodale de plus en plus intégrée. » Ainsi, les gares frontalières sont-elles équipées en ce sens, comme Rodange avec un parking de 2.000 places juste au-dessus de la gare. Il est gratuit pour les automobilistes et leurs passagers qui utilisent cette aire de stationnement pour prendre le train. Et comment le sait-on ? Parce que les valideurs de cartes de transport sont toujours présents dans les trains, les trams et les bus… Elémentaire, mon cher Watson !

Vous prendrez bien un petit funiculaire ?

À côté de cela, plusieurs nouvelles gares, ultramodernes, ont été créées, comme celle de Pfaffenthal-Kirchberg, en contrebas du Pont Grande-Duchesse Charlotte surmontant la rivière Alzette. Pour connecter la vallée à la station multimodale qui se trouve au-dessus, un nouveau funiculaire transporte jusqu’à 200 personnes toutes les soixante secondes. Une deuxième gare est en cours de construction, au sud-ouest de la capitale, à Howald. Terminée en 2023, les trains venant de France s’y arrêteront au lieu d’aller jusqu’à la gare Centrale. La gare de Howald sera reliée au tramway, un tout nouveau réseau mis en service en 2017. La première ligne, de 16,4 km, vient de l’aéroport pour traverser la capitale et relier les centres économiques. Au total, neuf pôles d’échanges multimodaux sont prévus. Malgré la pandémie et le télétravail, le tram reste un succès avec 42.000 voyageurs enregistrés en février 2021, contre 31.000 sur le même mois l’année précédente (avant la crise du Covid).

La leçon de François Bausch

Donc, progression des transports publics et évolution des comportements face à la mobilité, c’est indéniable. Mais impossible, compte tenu des circonstances sanitaires, d’évaluer avec précision les reports entre moyens de déplacement. Par contre, pour sensibiliser la population, il est évident qu’une parole constructive a bien plus de poids qu’un discours dénonciateur. Le ministre François Bausch trouve improductif d’en appeler à la raison environnementale : « Dire que le CO2 est néfaste au climat ne va motiver personne, mais invoquer les bienfaits du vélo sur la santé, ça, ça marche (ou la sécurité et la liberté d’esprit qu’offre le train – ndlr). Et je ne vais jamais communiquer contre la voiture. » Sollicité de toutes parts, M. Bausch prend son bâton de pèlerin, essayant notamment de convaincre ses homologues européens, dont le Belge Georges Gilkinet, sur le fait que « si vous prenez les gens de façon positive, ils vous suivront »… Sera-t-il entendu ? n

À Bruxelles, l’euro symbolique
pour les jeunes

La gratuité du réseau de la STIB limitée aux moins de 25 ans faisait partie des promesses électorales des formations actuellement au pouvoir en Région bruxelloise. Elle est aussi évoquée dans les contrats de gouvernement, ainsi que dans ses déclarations. Nous avons voulu avoir le point de vue de l’opérateur des bus, trams et métro de la capitale, mais «pas question de le partager dans la presse, le seul effet que cela aurait, serait de créer la polémique». Il est vrai qu’au sein des partis siégeant à Bruxelles, le débat fait rage avec, comme trop souvent, une surenchère politique. Finalement, la décision est tombée le… dimanche 28 mars : à partir de février 2022, la STIB appliquera pour ses abonnements annuels «un tarif “jeune” clair et beaucoup plus abordable pour les 12-24 ans : 12€ pour 12 mois», selon le communiqué du gouvernement régional. À la place de la gratuité à laquelle on n’était pas favorable chez l’opérateur, c’est donc un euro symbolique par mois pour les jeunes qui sera la règle. Conséquente par rapport au tarif déjà préférentiel de 50€ par an en vigueur actuellement, la mesure est censée rendre les transports publics encore plus accessibles. Mais on reste loin de la gratuité généralisée à la luxembourgeoise. On l'espérait, si pas dans l’ensemble du pays, du moins dans la Région de Bruxelles-Capitale. Au cabinet de la ministre régionale Elke Van den Brandt, en charge de la Mobilité, on estime que la situation est totalement différente à Bruxelles qui, avec 1,2 millions d’habitants, est deux fois plus peuplée que le Grand-Duché et six fois plus que Luxembourg-Ville. Et comme chez nous, la majorité des frais de déplacement est prise en charge par les employeurs via des abonnements, le dossier de la gratuité peut encore attendre. Longtemps ?

Mots-clés: Strategie Actualités
La gratuité des transports publics au Luxembourg, levier de la mobilité du XXIe siècle ? | MobilityLife

Notre sélection d'annonces